Karol Modzelewski

Lecture.

 

Nous avons fait galoper l’histoire

Confession d’un cavalier usé.

de Karol Modzelewski

 

 

« Mémoires » de Karol Modzelewski,  ce livre, qui n’est paru en France qu’en 2018 (Editions de la Maison des sciences de l’homme), n’est pas neutre.

En effet, en le lisant c’est la vie d’un combattant resté fidèle à ce pourquoi il s’était engagé dès sa prime jeunesse qui passe sous nos yeux, un homme engagé toute sa vie pour une certaine idée de la liberté, de la justice sociale, c’est le souffle de la révolution polonaise qui nous traverse avec ses leçons, victoires et défaites.

 

Mais qui était, donc, K .Modzelewski ?

Son père adoptif, Zygmunt Modzelewski, fut un des dirigeants de la section polonaise du PCF dont il fut membre du comité central ; dans les années trente il fut incarcéré à la Loubianka[i] dans le cadre de la grande purge décidée par Staline ; libéré par la suite il devint membre du comité central du POUP (parti ouvrier unifié de Pologne) et ministre du gouvernement après l’occupation nazie.

Par la suite, Karol, écrit parlant de son père ; « je pense que ses émotions et ses réflexes ont durablement influencé plus tard mes positions  dans la relation entre le pouvoir et les ouvriers ».

On ne saurait mieux dire : à un bureaucrate qui se vante de sa gestion économique, Zygmunt réplique : « En quoi êtes-vous différents des propriétaires d’avant-guerre qui traitaient les mineurs comme du bétail ».

Cependant, Karol, adhère à la ZMS (jeunesse communiste).

 

Mais très vite entre l’idéal et la réalité quotidienne, le choc est trop brutal.

Après la mort de Staline, la chute de Beria, les bouches s’ouvrent.

Il apprend « les conditions de vie et de mort dans les camps de concentration soviétiques » de son père biologique. Il vit une crise existentielle.

 « Puis nous avons engagé une révolte contre le système puisqu’il piétinait les idéaux qu’il professait en théorie (…) le choc provoqué par la divulgation du discours de Khrouchtchev a déclenché  (…) des discussions sur le caractère d’un régime qui avait perdu sa légitimité marxiste » explique-t-il.

 

Dès lors, il est, en effet, de tous les combats : co-fondateur de l’union révolutionnaire de la jeunesse, il est ainsi l’auteur, avec Jacek Kuron  de « la lettre ouverte au Parti [ii]» pour laquelle il fut condamné 3  ans et demi de prison, il est aussi l’un des leaders spirituel de la révolte des étudiants de 1968 (de nouveau condamné à 3ans et demi).

On le retrouve en 1980, lors de la vague de grèves qui secoue toute la Baltique et qui va aboutir à la constitution de Solidarnosc.

Dans ses « Mémoires », il décrit la lutte engagée contre le pouvoir pour faire enregistrer Solidarnosc comme une organisation nationale indépendante.

Il ferraille  contre l’avis des experts et de dirigeants comme Walesa qui acceptaient de limiter la reconnaissance du syndicat à la région. Et c’est lui qui propose de créer une structure nationale avec pour nom Solidarnosc

« Nous décidons de fonder un syndicat pour toute la Pologne sous le nom (…) Solidarnosc et de créer la Commission nationale  (…) Le terrain d’activité  du syndicat  sera le territoire de la République populaire de Pologne »

Il en devient le porte-parole.

Sous la pression constante de Moscou, le gouvernement polonais manœuvre. En mars 1981, les provocations se multiplient contre le KOR[iii] et contre les dirigeants de Solidarnosc à Bydgosczcz ; la commission nationale de coordination de Solidarnosc décide d’appeler à une  grève d’avertissement (27/3) et à la grève générale en fonction des pourparlers avec le pouvoir

La journée du 27 est un succès, le gouvernement recule partiellement.

 « Solidarnosc était à l’apogée de sa puissance (…) le camp gouvernemental perdait le soutien de sa base (…) C’était le moment culminant de la révolution ».

A la veille de la date retenue pour la grève générale, un « communiqué commun est lu par Andrzej Gwiazda en présence de Lech Walesa (…) Solidarnosc déclarait que la grève générale était suspendue. Théoriquement le dernier mot dans cette affaire devait revenir à la commission nationale de coordination (KPP) qui devait se réunir le 31 mars. Mais la bombe était déjà  désarmée. On en avait dévissé le détonateur et la KPP n’avait en pratique aucune possibilité de le revisser »

Karol Modzelewski décrit les émotions de ceux qu’il appelle les Jeanne d’Arc de la révolution Solidarnosc et de la multitude qui les suit

Il précise : « L’arrêt de la dynamique révolutionnaire, imposé à un moment décisif à la fois par son chef et ses conseillers, a mis cette révolution sur un plan incliné ».

9 mois après, c’est le coup d’état militaire du 13 décembre 1981, 5000 personnes, surtout des cadres syndicaux sont incarcérés…la loi martiale est proclamée…Solidarnosc est écrasée. Une direction clandestine  essaie de maintenir l’étendard mais ne dirige pas grand-chose…

«  Nous étions pleins d’illusions, certains que le vent de l’histoire  (…) se retournerait bientôt et qu’alors, tout serait comme avant décembre (…) [Mais] Après le choc, l’état d’esprit appelé révolution avait disparu sans retour »

Toutefois, en 1989 les élections portent au pouvoir Solidarnosc qui constitue ce que Karol nomme, avec des guillemets, « notre gouvernement ». Paradoxe, c’est ce gouvernement  qui avec Balcerowicz[iv]  applique la « thérapie de choc » sous la férule du FMI impliquant une souffrance inouïe pour la population. Les prix se sont envolés, le chômage aussi… Comment comprendre ?

Karol Modzelewski note : « Pendant la loi martiale, nous nous sommes consolés avec le slogan : « Solidarnosc vit ». C’était une illusion revigorante. La première Solidarnosc  a succombé à la violence et n’a pas survécu. Là est la réponse à la question que m’avaient posée Lionel Jospin et Emilio Gabaglio : « comment Solidarnosc: avait pu permettre le plan Balcerowicz ? Elle ne s’y est pas opposée car elle n’existait plus  (…) Jaruzelski a ouvert la voie à Balcerowicz »

 

De bonnes âmes nous ont expliqué que le peuple polonais ne s’était insurgé en 1980 que pour mieux tomber à genoux devant le pape et la pire réaction. Quarante ans, après, des milliers de femmes et de citoyens manifestent contre la décision du Tribunal constitutionnel eu égard  à l’IVG et font reculer le Gouvernement et le clergé catholique

Quel beau démenti à tous ces bien-pensants : la bataille pour la liberté et la justice sociale que portait fièrement Solidarnosc reprend son cours. Longue bataille au cours sinueux.

Le 28 avril 2019, Modzelewski décédait, il n’aura donc pas connu ce moment grandiose où les femmes, notamment, étaient « comme l’apparition de la Liberté guidant le peuple aux barricades » comme il l’écrivait à propos des syndicats indépendants.

 

                                                                                                                  Alex

 

 

[i] Prison rendue tristement célèbre par le film de Costa-Gavras, « L’Aveu », tiré du livre d’Arthur London.

[ii] Dans cette lettre, ils écrivent : « La classe ouvrière sera obligée de se lever contre la bureaucratie et le système… »

[iii] Comité de défense des ouvriers, constitué en 1976 par Jacek Kuron et Adam Michnik

[iv] L. Balcerowicz, conseiller de Solidarnosc, et ministre de l’économie en 1989

[1] Prison rendue tristement célèbre par le film de Costa-Gavras, « L’Aveu », tiré du livre d’Arthur London.

[1] Dans cette lettre, ils écrivent : « La classe ouvrière sera obligée de se lever contre la bureaucratie et le système… »

[1] Comité de défense des ouvriers, constitué en 1976 par Jacek Kuron et Adam Michnik

[1] L. Balcerowicz, conseiller de Solidarnosc, et ministre de l’économie en 1989